Les Deux Rives 1/2
Il y avait deux rives au bas de ma ville. Un pont les réunissait d’un arc généreux, agrémenté d’une fine mosaïque rose. Les gens passaient d’une rive à l’autre, le pas souriant aux vasques fleuries, comme une envie de petit bonheur à emporter. Mille pas funambules entre le ciel et la terre.
Sur l’une des rives, se trouvait le quai d’une gare. Commencements et fins. Histoires qui se croisent et se décroisent dans la salle des pas perdus. Jours soleil et yeux de pluie. Les trains n’en finissent pas de partir vers un ailleurs toujours plus beau, toujours trop loin, vers l’inaccessible point d’horizon.
Sur ce quai de gare, j’ai laissé mes envies de départ, le regard pendu aux accents lumineux de Stockholm, le rêve égaré dans les cheveux d’or de ses filles à la peau de lait, croyant y respirer un goût de liberté, le parfum d’une nature originelle. L’attrait de la lumière.
Mais poussière charbon me colle à l’âme. Et mes pieds foulent encore le Pays Noir… Sur les murs de ses fabriques désertées, la langue d’oïl chante de son graff, les nuits rouges qui crachent toute gueule ouverte, ses feux laminés dans le ciel dentelé. Et le cri des grèves en bleu sarrau et casque jaune lorsque les bottines aux bouts de cuir durci frappent en cadence le pavé des rues de ma ville. Lois partisanes qui ploient l’échine ouvrière, plus bas, toujours plus bas…