Les Deux Rives 2/2
Sur l’autre rive, il y avait une place ronde et ses terrasses fleuries, ses restaurants, son cinéma en version originale, ses dancings à l'étiquette privée, les promeneurs du temps de Proust, les amoureux aux baisers publics. Le temps aime s’y déployer à pas lents.
On y trouvait un marché avec ses saveurs du terroir, ses fleurs exotiques, ses vêtements aux sourires pakistanais, mille sonorités qui pétillent la vie aux accents des fromagères et marchandes d’épices. Ah! Mes amis, quelle gouaille, quelle pétulance du verbe ! De quoi s’en pourlécher les vibrisses.
Jouxtant le marché, s’étirait un grand boulevard. Cortège lent de vrombissements, grosse chenille qui bave ses hydrocarbures de boutique en boutique. Ses bureaux aux mines sérieuses déchargent en jets sporadiques, ses porteurs de mallettes noires sur les trottoirs de consommation. Cacophonie des sens. Dessus dessous. Les effluves de poulets rôtis se mêlent à la bonne odeur du pain frais garanti au levain. Foi de commerçant !
Au bout de ce boulevard, on traverse la mal-vie. Et ses rues hantées d’immeubles aux lourds silences, les paupières baissées sur le fourbissement d’armes en tous genres, l’ombre fugace de silhouettes aux visages fermés dont il vaut mieux ignorer le nom.
Là-bas, les pavés résonnent sous les talons de l’errance. Et l’eau des illusions y ruisselle quand se déchirent les paradis factices de la blanche. Les pupilles se figent à contempler dans l’encoignure des portes écaillées, les corps de femmes-enfant, sans épaisseur d’âge, à la chair trop rare pour masquer les saillies du squelette. Marchandes d’amour pour les pas solitaires … Il fait froid dans le cœur.
Dans les rues de la mal-vie, il bruine la misère. - Comme un écho de nos propres déchirures, nos désespoirs, nos fantômes… - Et le regard épouvanté, nous nous enfuyons jusqu’au proche rond-point, vers les lieux clairs de la ville.